Voir où l’on va quand on nage en tirant sur les bois n’est pas une chose très aisée.
Rien n’est plus ridicule que de se tortiller pour deviner du coin de l’oeil les obstacles qui se dressent devant le bateau quand on rame en s’efforçant de voir par dessus sa propre épaule. De plus c’est douloureux quand on s’avère enclin à l’arthrose cervicale.
Certes on peut utiliser un rétroviseur ou, histoire de faire moderne, équiper son voilaviron d’une caméra de recul que les embruns auront tôt fait de rendre inutilisable. Sinon il reste à adopter les solutions de nage debout comme on la pratique en Adriatique ou sur certains endroits du Mékong, ou se résoudre à se doter d’appareillage inversant le mouvement des avirons.
On peut rire de l’idée du rétroviseur, mais il se trouve qu’elle fonctionne assez bien. Nous l’avons vu réalisée sur quelques canots ; à défaut de s’avérer la solution parfaite, elle a le mérite d’être aisément opérationnelle pour un coût assez modique.
Si on ne veut pas se contenter de récupérer un rétroviseur pour caravane de peur de dévaloriser le beau vernis de son tableau arrière, on peut faire venir le modèle de l’illustration pour un peu plus de 200 dollars US.
Les moyens mécaniques
Il y a plus radical : grâce aux vertus d’un inverseur de mouvement, on peut transformer le tirage en poussage, et donc ramer normalement en regardant devant. Nos amis de Escumayres Talasta ont fait venir le modèle de chez Gig Harbor Boat Works, qui n’est qu’une adaptation en matériau moderne d’un système datant de la belle époque du canotage, fin XIXe. Recopions leurs conclusions :
« Le système est particulièrement adapté à une navigation de découverte ou dans des zones de navigation encombrées. Il est également très agréable pour les personnes souffrant de douleurs cervicales car il évite de tourner la tête pour surveiller sa route.[comme quoi il n’y a pas que moi!]
Le modèle essayé souffre de quelques défauts :
- Surdimensionné et donc trop lourd.
- Pour un voile-aviron en configuration voile, le rabattement des pelles et manches vers l'arrière peut gêner la barreur. »
De nombreuses autres vidéos sont disponibles sur Youtube de ce système GHBW, dont on voit bien qu’il est satisfaisant sur un canot uniquement mu aux avirons, mais qu’il deviendrait gênant en configuration voile, sans compter que coupées en deux, les rames ne peuvent servir en nage classique, et sont évidemment inappropriées en usage godille.
D’autres modèles ont existé mais ne semblent pas avoir perduré dans le commerce. Voici pour la bonne bouche en vidéo une séquence nostalgie des années trente du XXe siècle sur l’invention qui se proposait de révolutionner le canotage. À vue de nez le mouvement est transformé par un engrenage simple (deux roues crantées suffisent) et les avirons se rangent plus aisément qu’avec le système GHBW. Mais là encore, ça doit peser son poids d’acier, qu’il faudra compenser par une réserve de flottabilité de huit fois son volume.
Plutôt que de transformer le mouvement en son contraire, on peut fixer le bout du manche au centre du bateau et tirer vers soi en tenant les rames entre la poignée et la pelle en regardant droit devant, dans le sens de la marche du bateau. Le problème à résoudre c’est la sortie de la pelle de l’eau : sans un système d’assistance c’est épuisant et peu efficace.
Un modèle très élaboré est commercialisé aux USA sous le nom de « Front Rower », et offre l’avantage de rajouter la force des jambes. De nombreuses vidéos sont disponibles, ne serait-ce que sur Youtube, mais là encore on ne voit pas d’adaptation sur un voilier. Il est vrai que l’appareillage est volumineux.
Pourtant on se dit que le mât du bateau pourrait servir de point fixe pour des avirons demeurant compatibles avec des dames de nages, il suffirait de trouver un système simple pour aider la sortie de la pelle de l’eau. Une vidéo d’un bricoleur offre une piste intéressante, l’aide au relevage est assurée par un ressort ou du caoutchouc, comme une chambre à air de vélo ou un assortiment de sandows.
La nage debout
Si on tient à s’en tenir à la simplicité absolue, alors on optera pour la nage debout, comme dans la lagune de Venise ou quelques rivages du Vietnam. Pour Venise, il s’agit de la « voga alla valesana », pratiquée dans la lagune pour parcourir de longues distances assez rapidement . Les bateaux sont assez étroits et à fond plat pour diminuer au maximum le tirant d’eau. Le rameur se tient à l’arrière de son canot, et utilise une paire de rames qu’il croise, ce qui permet d’avoir un plus grand levier donc plus de force. Les dames de nages, appelons les « forcoles » de leur nom local, sont de belles sculptures à la Boccionni, fabriquées par des artisans spécialisés dans ce genre de travail. Mais on trouve des bateaux qui se contentent de simples planches munie d’une engougeüre, fermement fixées aux parois. Les deux forcoles sont décalées d’une dizaine de centimètres avant de faciliter le mouvement de nage. Voici une vidéo qui montre mieux qu’un discours le geste auguste du rameur.
Au Vietnam, on pratique de manière similaire, mais la forcole de bois sculpté est remplacée par un simple erseau sur un piquet fixé sur l’intérieur du bordé. On aura de la peine à faire plus low-tech. On notera que la hauteur du point d’appui de l’aviron est un peu au dessus du genoux de la rameuse, debout comme à Venise, et que la technique des rames croisées est similaire.
Tout le secret est dans la hauteur de la dame de nage ou ce qui en tient lieu.
Sur nos voilavirons on peut s’équiper d’un jeu de dames hautes qui peuvent avoir une emplanture dédiée à coté des dames ou tollets classiques, il faut juste veiller à la solidité du lieu d’effort sur la coque. Un canot traditionnel du lac d’Iseo, dans les Alpes Italiennes, montre un renfort simple aisément transposable.
Finalement, des techniques traditionnelles peuvent servir à nos petites navigations sur nos voilavirons modernes, garantissant la polyvalence de nos embarcations et de nos rames qui, sans modifications, peuvent mouvoir nos canots de manière variée quand la voile doit être affalée.
Pour preuve certains pêcheurs siciliens qui ne s’éloignant que d’un ou deux milles seulement de la côte, rament alternativement debout dans le sens de la marche ou assis en rétrovision, en utilisant les mêmes avirons au manche épaissi pour un minimum d’effort de relevage de la pelle, sur des barques de la taille d’un de nos voilavirons.